Les théories sur l’évolution de la peinture (4) : l’approche de Paul Klee. par Gérard Magnette

 

                               Gérard Magnette                                                   

          

 

 

Paul Klee (1879-1940) est un peintre majeur du XXe siècle. Outre son activité de peintre, dans le cadre de ses cours au Bauhaus(1921–22  ) Klee a développé ses réflexions sur la peinture en produisant une œuvre écrite de première importance. (Théorie de l’Art moderne,  (TAM) Denoël,1985; La pensée créatrice, (PC) Dessain et Tolra,1973)

Klee n’a pas développé à proprement parler une théorie de l’évolution de l’art. Il oppose le credo artistique d’hier et celui d’aujourd’hui. Klee n’est pas à proprement dit un théoricien car il nourrit ses réflexions avant tout par sa pratique de peintre. Nonobstant la puissance de sa réflexion, Paul Klee est avant tout un peintre et se pose en conséquence avant tout des problèmes de peintre. Pour lui la peinture est une activité créatrice. C’est sa pratique de la peinture qui inspire ses réflexions, et non l’inverse. Sa pensée est donc très différente de celle de théoriciens comme Greenberg ou Bourdieu.

Le credo artistique d’hier consistait en une étude des apparences des objets perçues par la voie physico-optique à travers la couche d’air, élaborant ainsi un art purement optique. La peinture reproduisait le visible. Mais la seule voie optique ne correspond plus aux besoins d’aujourd’hui

Le credo artistique contemporain à Klee développe par contre une conception élargie de l’objet comme tel qui devient plus que sa simple apparence. Le simple rapport optique est ainsi transcendé et l’impression reçue des apparences se change en compréhension des forces en action dans notre monde et l’univers. Ainsi la force de la pesanteur qui régit notre équilibre sur la surface terrestre, force verticale symbolisée par le fil à plomb et qui relève du domaine statique. 

Ces forces ne sont pas visibles. Ce que dévoile sa maxime célèbre : « l’art ne reproduit pas le visible ; il rend visible ».

 Gérard Magnette

Pour Klee, la spécificité de la peinture consiste dans les moyens qu’elle utilise. Il privilégie surtout les moyens conceptuels (qu’il appelle également formels) que sont la ligne, le clair-obscur (tonalité), la couleur. Ce sont ces moyens mêmes qui spécifient la nature de la peinture. Ce sont eux qui, par leur combinaison et leur agencement, libèrent l’expression et la fixent sur la surface du tableau. Et chaque combinaison possède son caractère constructif particulier. C’est l’imaginaire du peintre, en s’associant étroitement aux moyens plastiques appropriés, qui permet de créer l’œuvre.

Ces moyens picturaux conceptuels sont  les dimensions propres du tableau , des « données formelles d’extension variable« . Quant au  passage de la nature à l’oeuvre d’art  « il s’agit de la déformation qu’impose le passage à l’ordre plastique avec ses dimensions propres« . (T.A.M. p.19)

Pour Klee « le domaine graphique, de par sa nature même, pousse à bon droit aisément à l’abstraction… plus d’importance est donnée aux assises formelles d’une représentation graphique et plus s’amoindrit l’appareil propre à la représentation réaliste des apparences ». (TAM p. 34).

Pour lui la pureté est du côté de l’abstraction. Le caractère d’un tableau est abstrait si « la représentation d’un objet s’appuie sur des moyens mis à sa disposition par un espace pictural donné ou si, au contraire, utilise des moyens extérieurs à cet espace » (PC, p.72) ce qui lui donne dans ce cas un caractère figuratif. Par exemple si l’éclairage est projeté de l’extérieur du tableau, celui-ci a un caractère figuratif–comme par exemple l’éclairage dans les tableaux de la Renaissance. Au contraire si l’éclairage naît de l’élaboration propre de l’image -lumière interne à l’image – on est dans le domaine de l’abstraction.

 Gérard Magnette

L’abstraction consiste à dégager les rapports créateurs purs qui existent entre les objets : rapports entre clair et obscur, long et court, bas et haut, couleur et couleur… Ainsi concernant les notions d’avant et d’arrière, si on suppose que jaune est en avant et bleu en arrière, on obtient quelque chose d’abstrait.

Pour l’artiste moderne,il y a abandon de l’objet naturel:il ne s’agit pas de copier ce dernier mais bien de le faire naître à nouveau ,de façon à créer une nouvelle naturalité.Et ce par une construction active de la forme qui conserve  cependant ses fondements dans les lois et les principes de la nature.

Ainsi le tableau accède à une existence plastique autonome.Et se révèle au spectateur dans un dialogue tout intérieur.

Antonio Saura ( dans Klee,Point final,1999) analyse le travail d’artistes qui,comme Klee, poursuivent un «  même esprit libertaire, une même volonté de dépasser les frontières expressive  (…)  le même recours à une expressivité immédiate, économe quant aux moyens employés, et qui tend à refléter « l’essentiel ».

C’est en utilisant la parabole de l’arbre (TAM p.16) que Klee illustre le rapport entre le monde, l’artiste et l’œuvre. 

 

« Notre artiste s’est donc trouvé aux prises avec ce monde multiforme et, supposons-le, s’y est à peu près retrouvé. Sans un bruit. Le voici suffisamment bien orienté et à même d’ordonner le flux des apparences et des expériences. Cette orientation dans les choses de la nature et de la vie, cet ordre avec ses embranchements et ses ramifications, je voudrais les comparer aux racines de l’arbre. 

De cette région afflue vers l’artiste la sève qui le pénètre et qui pénètre ses yeux. L’artiste se trouve ainsi dans la situation du tronc. 

Sous l’impression de ce courant qui l’assaille, il achemine dans l’œuvre les données de sa Vision. Et comme tout le monde peut voir la ramure d’un arbre s’épanouir simultanément dans toutes les directions, de même en est-il de l’œuvre »

L’artiste est un médium , un intermédiaires comme le tronc de l’arbre,soumis à des forces extérieures ( les racines ) , créant ainsi l’oeuvre d’art ( la ramure).

L’art montre « qu’il n’y a pas que les habituelles possibilités terrestres » et que « le sérieux éthique va de pair avec le fou-rire des anges« . (T.A.M p.41)

 

 

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